Témoignage de Pierre Rallui (évadé de 1943)

 

 

 

« Je suis né le 7 janvier 1921 ; j’étais le 3éme de 7 enfants (6 garçons et une fille). Mon père était espagnol au Talc ; ma mère faisait des ménages.

Le 1er octobre 1939, j’entrais à l’Ecole Normale de Foix. Mais, en 1941, j’apprends que je ne serai pas instituteur car non français d’origine (loi Pétain). J’ai fait un recours, car mon père avait été naturalisé en 1923 : j’ai été réintégré.

Mon premier poste était à Salau, hameau de Couflens (en réalité, c’était un stage). Je cherche une pension (850 Frs alors que je n’en touche que 800). J’y reste un mois et passe mon CAP.

Puis, je me retrouve dans les Chantiers de Jeunesse ; groupe 8 d’Argelès Gazost : c’était pétainiste à bloc !. Là : coupe de bois et  arrache de cailloux pour faire une ferme modèle…

Octobre 1942 : je suis nommé à Siguer dans la vallée de Vicdessos (à l’école de La Prade, exactement). Je prends pension chez Mr et Mme Caralp. Il y avait deux cafés en ce temps là (les sœurs Bourse et les Caralp). Le samedi, je rentrai à Luzenac…

Novembre 1942 : un side-car d’allemands arrive à Siguer qui devient « zone interdite ». Ils occupent une maison près de l’école de Siguer et vont au café des sœurs Bourse.

Tous les jours, il venait des gens qui demandent la direction de l’Espagne (parfois 15 ou 20 !, et de jour avec des allemands dans le village…). Je leur montrai le chemin… ; Puis, à force, j’ai fais une copie du plan cadastral du chemin à emprunter et je donnai des copies faites au papier carbonne. Quand je revenais de l’école, on me demandait s’il y avait la patrouille… car l’échange de patrouilles se faisait à Siguer. Un jour, même, un allemand m’arrête, fusil armé à la main… Mais, en général, c’était des officiers qui avaient fait la Russie… Ils n’étaient pas là pour faire du zèle…

Puis est arrivé un moment où dans les cafés, les allemands disaient : « Attention ! Instituteur, « grosse filous !»… ».

J’ai compris qu’il ne fallait pas trop traîner par là et surtout ne pas attendre… J’ai cherché un passeur : j’ai trouvé I…

Rendez-vous est pris pour minuit (avec deux copains de Garanou) : en fait, on s’est retrouvé à une douzaine. On remonte la vallée, tournons à gauche et arrivons à une grange. A ce moment, le passeur I. part durant deux heures environ. Puis, nous montons la crête, traversons des sapins, des rochers. D’ailleurs, lorsque nous étions dans les rochers, un avion allemand passe…

Arrivés à un promontoire, le passeur nous dit : « vous êtes en Andorre… ». Nous mangeons. Le passeur I. se fait payer (5000 Frs par personne) et part.

Nous apercevons une cheminée (un couloir dans la montagne) que nous descendons. Un orage éclate et nous devons même porter un gars. Nous traversons un névé et nous voyons deux cabanes. Nous rencontrons le berger qui ne parle pas… Nous nous séchons… C’était la cabane des allemands (qui s’étaient arrêtés en route…). Nous partons de nuit à l’aide d’une boussole : direction le sud. Des roches, du gispet, les cimes et arrivons au premier village andorran.

Nous dormons dans un hôtel ; puis direction Seo d’Urgel (« Hôtel des quatre nations »). Dans la nuit, les gardes civils nous prennent et nous emmènent à Lérida où nous nous retrouvons en prison. J’y suis resté 2 mois et 27 jours. Puis, liberté surveillée à Barcelone (à l’hôtel Thorez) ; puis Madrid, Malaga (arènes) avant d’arriver en Afrique du Nord, à la Croix Rouge, à Casablanca. Je me suis engagé à Marrakech : mais, l’on a été mal reçu par les français…

Vu que j’avais le niveau du bac, je me suis retrouvé dans un peloton spécial…

Mais, je dois dire que je n’ai jamais été convoqué au STO… »