Soula Laurent (Récit de son passage en Espagne)

 

 

            « Je suis né le 30 octobre 1921. En 1941, j’étais alors domicilié à St Pierre de Rivière et inscrit à la faculté de droit de Toulouse.

            Début juillet (1943), j’étais convoqué à la gare de Foix pour aller au STO (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne. J’en parle à des copains. Sur Villote (la place de Foix), nous avons un contact avec Auguste Pujol, de Castenau-Durban, pour passer en Espagne. Nous rencontrons Mr Dupuy (du lycée de Foix) ; il nous donne les consignes : « Restez chez vous, je vous contacterai… ». Je suis, donc, resté à la maison, au 1er étage.

 

            Le 10 août 1943, j’ai été prévenu de l’opération de passage. Je pars de St Pierre de Rivière avec Pujol à 4 H du matin ; direction la briqueterie de Berdoulet (actuellement Ets Lagarde, à Labarre). Nous avons traversé Foix (pour éviter de passer par Loubières et St Jean de Verges) en se disant que si nous rencontrions les boches, nous dirions que nous allons faire une excursion.

            A Berdoulet, nous nous cachons dans un taillis. Vers 3 H de l’après midi, nous voyons Durroux (futur député de l’Ariège) ; nous allons dans les sous sols de la briqueterie : nous sommes une trentaine !

            Puis, nous montons sur un camion bâché (« Transport de la Région Toulousaine ») ; nous traversons Foix (où j’aperçois Dupuy) ; direction Ferrières, Prayols.

            Entre Prayols et Ferrières : arrêt dans une clairière ; nous cachons dans les taillis. Puis direction Surba, Banat, Lapège et nous nous retrouvons au-dessus d’Auzat dans le brouillard. Au cours d’une éclaircie, plongée sur Auzat avec le guide, Mr Ménigos, cordonnier à Auzat ; puis nous joignons une cabane où nous mangeons (j’avais emporté du chocolat, de l’eau de vie, 1 Kg de sucre et un fortifiant) et nous y dormons.

 

            Le lendemain, descente sur Auzat où nous allons dans une maison (rue d’Espagne) rejoindre un nouveau guide, Courtade. Nous quittons Auzat vers 21 H, traversons le torrent et commençons la montée vers l’Andorre. Nous marchons toute la nuit à travers la rocaille (pas par les sentiers) et arrivons sur un plat avec des étangs où nous apercevons des cadavres. Nous continuons vers le haut de la montagne à travers le gispet. Moi, j’étais bien chaussé, mais des citadins avaient des semelles lisses : on était obligé de les tirer…

            Arrivés sur la cime, le guide nous laisse après nous avoir montré le chemin de l’Andorre que nous atteignons. Je dois faire remarquer le sérieux de l’organisation ! Nous sommes passés entre le pic du Port et le Port du Rat et arrivons à Laucéran où nous trouvons une grange dans laquelle nous dormons.

            Dans la nuit du 12 au 13 août, une auto arrive et prend une dizaine d’entre nous : avec d’autres, j’attends… Le lendemain, nous descendons et arrivons,  vers midi, en Andorre la Vieille .

Nous faisons une toilette dans le torrent ; Nous changeons nos francs à la banque Casanis. Alors que nous marchions à la queue leu leu sur 100 m environ (il y avait Maris de Foix avec 3 autres fuxéens), en tête, des parisiens font un bras d’honneur à une Peugeot (vert-gris) avec des allemands dedans…. Les boches s’arrêtent à leur hauteur. Heureusement, je parle espagnol et leur dis : « nous sommes andorrans ! » : les allemands sont repartis…

Le 14 août, nous arrivons à une cabane située à un Km de la frontière. Le 16 : arrivée vers midi à Seo d’Urgel. Nous nous présentons au poste de police. Le chef nous dit d’aller manger aux « Quatre Nations » et de revenir à 3 H. Retour ; interrogatoire sur le parcours où je cite plein de villages d’Ariège pour les embrouiller. Nous y restons 2 ou 3 jours. Nous étions une cinquantaine. Un jour, un policier espagnol arrive : « On va vous amener à Lérida ». Nous y allons en autobus, avec un carabiniero devant et derrière.

 

Là, on s’est retrouvé en prison : c’était un grand bâtiment, un vieux séminaire transformé en prison… J’y reconnais des fuxéens… Dans cette prison, il y avait beaucoup de détenus politiques espagnols. Je trouve une place pour dormir.

J’avais dissimulé un couteau qui a servi à ouvrir des conserves données une fois par semaine par la Croix Rouge Américaine. La nourriture était déplorable : le matin, nous avions une boisson chaude ; à midi, une soupe (avec parfois 1 cm3 de viande) ; le soir, de la farine de maïs (genre milhas). Il y avait des poux, des punaises…. Un seul WC pour tout le monde (on ressortait les jambes maculées jusqu’au dessus des talon)…

 

Je servais d’interprète pour le directeur de la prison : je lisais la liste des noms des gars pour le départ à destination de Barcelone (certains étaient dirigés vers le camp de Miranda…). Fin septembre, j’ai vu mon nom… Je suis arrivé à Barcelone, au Consulat de la Croix Rouge Internationale (« consulat » déguisé du général de Gaulle…). Nous avons été dirigés vers des pensions ; nous avons été nourris… J’y reste jusqu’à fin décembre. Puis direction Saragose, Madrid, Malaga (où je couche dans les arènes).

 

Enfin, je prends le bateau (le Lépine et le Sidi Brahim nous attendaient). Je n’oublierai pas qu’au détroit de Gibraltar, une frégate anglaise arrive (il était 2 heures du matin), hisse le drapeau français et joue la Marseillaise !

Arrivée à Casablanca. Nous allons au camp de Médiouna où nous souscrivons un engagement pour la durée de la guerre. Je suis affecté à Marakech ; puis en avril 44 à Mogador. J’étais d’abord dans l’armée Giraud, puis celle de De Gaulle. Je me suis retrouvé dans les commandos de choc ; mais, j’ai eu une crise de paludisme ; alors j’ai tenu un foyer. Puis, on m’a envoyé à Alger, à Ténés (où j’étais dans un bureau).

Fin de la guerre à Ténés, en 1945… »

 

Complément au témoignage de Laurent Soula par Louis Pujol (qui fit le passage avec lui en Espagne) :

 

 

Requis par le STO, Louis Pujol parle de son intention de passer en Espagne à son ancien répétiteur Durroux (du lycée de Foix et futur député de l’Ariège). 

Quelques bagages sont mis dans un sac de pommes de terre. Ils traversent Foix vers 5 heures du matin pour atteindre un bois au dessus de l’hôtel du lac, à Labarre (construit depuis) Vers 11 heures, ils gagnent une ancienne usine, lieu de rendez-vous. Laurent Soula et Louis Pujol sont les seuls ariégeois du groupe qui compte 33 personnes. Une camionnette 202 bâchée les emmène à Ferrières. Le voyage par la vallée de Vicdessos durera 3 jours (marche de nuit). Sur le chemin, ils rencontrent même 4 officiers déserteurs de l’armée de Pétain qui possédaient une boussole (ce qui fut une aubaine, car le groupe s’égarait dans le brouillard. En Andorre, d’autres ariégeois les rejoignent. Parmi eux, Pierre Mary, qui reconnaît le chef de la Gestapo de Foix dans une voiture : d’où l’épisode relaté par Laurent Soula

 

Précisions sur l’itinéraire emprunté pour passer la frontière:

Auzat (alt. 700m) ; centrale de Pradières (alt. 1183m), ce qui sous-entend le passage par le village d’Artiès (alt. 985m) ; la traversée de la frontière s’est effectuée entre le Port du Rat (alt. 2510m) et le Pic de Port (alt. 2903m).

Il en découle que le groupe est passé par l’étang d’Izourt (1647m) et le Port de l’Abeille (alt. 2601m) ; les étangs signalés sont l’étang de la Gouille (alt. 2393m) et l’étang de Petsiguer (2462m) ; puis redescend vers El Serrat (1600m) et Ordino (1300m), puis Andorre la Vieille (1024m). A noter que l’étang d’Izour n’existait pas comme de nos jours : le barrage n’était pas encore construit : il y avait dans la cuvette deux petits étangs naturels