Gualter José

Son témoignage sur son passage en Espagne

(Actuellement responsable des Evadés de France ; fils d’un passeur du Couserans qui a été déporté)

« Je revenais des chantiers de Jeunesse (j’étais à Argelés dans les Hautes Pyrénées comme beaucoup d’ariégeois). Mon père était dans les Forces Françaises Combattantes à partir de juillet 1942. On écoutait la radio britannique : d’ailleurs mes parents ont été condamnés en octobre 42 pour « écoute illicite » : cela a paru dans les journaux de l’époque ! On ne parlait pas de résistance ou autre en ce temps là…

Mais un fait marquant va tout changer : le débarquement des Alliés en Afrique du Nord le 8 novembre 1942. Avec mon camarade de travail, Julien Denat , on se dit « OK, on y va… ». Je n’était pas contraint par le STO, lui non plus… J’avais 20 ans. Notre démarche est donc d’une autre nature.

Le 10 novembre, nous partons de Saint-Girons (à vélo) pour rejoindre le Port de Salau. D’ailleurs, au Kercabanac, nous rencontrons Marcel Carrère (qui était au réseau Wi-Wi…) qui me demande « Où vas-tu ? » ; nous répondons : « Rejoindre De Gaulle ! ». Nous couchons, le soir, chez des amis que je connaissais bien, car je suis originaire de Salau. Le lendemain, nous passons le Col de Salau (juste le jour de l’occupation de la Zone Libre par les Allemands). Il faisait très beau ; il n’y avait pas de neige cette année là… A l’annonce de l’occupation de l’Ariège, nous prenons quelques précautions : nous ne prenons pas les chemins des pâtres que je connaissais bien, mais des sentiers moins fréquentés. Nous arrivons en fin d’après midi à la frontière et descendons sur l’Espagne.

En chemin, nous voyons un pâtre espagnol qui nous dit : « Faites attention ! En bas, il y a des carabiniers espagnols… ». Nous passons facilement le premier village ; mais, des espagnols arrivent sur nous, nous mettent en joue et nous fouillent. Nous n’avions pas d’armes et pensions que notre présence, innocemment, ne posaient pas de problèmes particuliers. Les policiers nous prennent nos sacs (avec la nourriture qu’ils ont appréciée !) et nous ramène au premier village rencontré. Nous y sommes resté trois jours sous bonne garde : c’était la période où ils ne savaient pas ce qu’il fallait faire des gens comme nous.

Delà, on nous conduit à Esterri, à pied sur 12 km, puis à Sort dans une prison où nous y restons environ deux jours ; enfin à Lérida dans une camionnette où l’on nous met dans une grande salle avec des barreaux où il y avait des prisonniers politiques (surtout des catalans) et quelques prisonniers de droit commun : nous étions deux étrangers : mon copain de Saint Girons et moi, plus deux polonais. Pour manger, il fallait faire du troc… Nous y sommes restés une dizaine de jours, toujours enfermés. Menottés, on nous emmena, fin novembre, au fameux camp de Miranda de Ebro.

Là, j’y suis resté jusqu’à la mi juin 1943 ; mais mon copain de Saint Girons a été libéré un mois avant (il embarquera pour Casablanca, rejoint Alger et se retrouve dans la colonne Leclerc)… sans savoir pourquoi. Dans ce camp, il y avait de tout : des belges, des juifs, des français… Peu de nourriture, de la boue : nous étions environ 4000…. Malheur à celui qui était malade…

Puis, un jour, ils ont libéré le camp… Alors, on nous a transféré à Madrid, au Lycée français, sous l’autorité de la Croix Rouge. On nous a habillé en propre ! Nous y restons une dizaine de jours ; puis, un convoi nous dirige sur le Portugal (Setubal, au Sud de Lisbonne): d’abord, dans des wagons à bestiaux qui transportaient du talc, puis en wagons normaux au Portugal (pays qui était officiellement neutre dans le conflit en cours). L’accueil des portugais était très chaleureux.. enfin !

Deux bateaux nous attendaient… Je signe mon engagement le 4 juillet 1943. Au départ, sous pavillon britannique puis, au large sous celui de la France… Arrivée à Casablanca. Là, nous sommes confrontés au conflit Giraud/De Gaulle… Il a fallu choisir : pour moi, le problème était réglé depuis le départ : dans mon esprit, l’on allait rejoindre De Gaulle…Ici, il était encore considéré comme un marginal .. Dans les baraquements, il y avait, encore, de partout, la photo de Pétain…

Pour moi, ce fut alors l’engagement militaire : Tunisie, Italie…

Personne ne savait durant cette période où j’étais… (y compris ma fiancée qui deviendra ma femme !)

Pourquoi cet engagement ? Sûrement, parce que nous étions patriotes ! Les livres de morale nous parlaient de « devoirs »… pas de « droits » !…

Ce n’est qu’à mon retour que j’appris que mon père était passeur ! Dénoncé, il avait été arrêté le 4 octobre 1943 et déporté à Buchenwald jusqu’en avril 1945.